Au XVIe siècle, le monde occidental est sens dessus-dessous sur le plan économique, religieux et politique. Ce qui avait fait foi pendant longtemps ne tient plus et les absolus sont remis en question. De nombreuses personnes s’accordent à dire que l’Eglise a besoin d’un renouveau.
Article tiré de
FAMA 2023/1
Certains proposent un mouvement de transformation au sein de l’Eglise catholique et d’autres comme Luther et Zwingli créent de nouvelles branches du christianisme en se séparant de l’Eglise catholique. Si les réformateurs s’érigent contre les pratiques abusives de l’Eglise, d’autres réformateurs comme Felix Manz et Konrad Grebel pensent qu’il faut aller plus loin. Les changements proposés ne sont pas suffisants. Leur mouvement, appelé « Réforme radicale », marque un pas supplémentaire. Pour eux, l’Eglise doit retrouver son indépendance en tant que communauté de croyants. Chaque personne doit être libre de rejoindre l’Eglise (ou non). L’entrée dans les communautés se fait par un baptême proposé à l’âge adulte et lié à une confession de foi. La plupart des chrétiens de l’époque avaient déjà été baptisés enfant et font donc le choix de se faire rebaptiser, ce qui leur vaudra plus tard le nom de « wieder-taüfer ». Les anabaptistes (Taüfer) existent aujourd’hui en Suisse sous le nom de « mennonites » d’après le nom de l’un de leurs réformateurs, Menno Simmons. Aux Etats-Unis, les amishs sont aussi bien connus.
Cette communauté ainsi libérée des contraintes de l’Etat et qui ne regroupe que des adultes confessants doit s’affranchir du pouvoir politique en place et refuser de prêter allégeance à qui que ce soit d’autre qu’à Jésus. Cela se manifeste en une obéissance radicale à son enseignement qui exige l’amour de l’ennemi (Matthieu 5.43-44) et qui commande à Pierre de ranger son épée (Jean 18.11). La conviction de nombreux anabaptistes est celle-ci : le royaume de Dieu ne peut advenir par la violence. Celles et ceux qui renoncent à la violence pour se défendre, doivent aussi accepter que cela peut leur coûter la vie. Ces convictions ont coûté cher aux anabaptistes. De nombreux anabaptistes ont été torturés, noyés et brûlés par la main des autres chrétiens, catholiques et luthéro-réformés. 500 ans plus tard, ces convictions sont encore un puissant moteur de l’anabaptisme.
Une conviction, des enjeux
Certains mennonites ont précieusement conservé ces convictions fondamentales. Ils les ont actualisées dans leurs contextes. Selon les époques et les possibilités, de nombreux anabaptistes ont déserté, ont fait de la prison ou sont devenus objecteurs de conscience. Les anabaptistes-mennonites n’ont pas toujours été exemplaires dans leur rapport à la violence. Parfois, comme lors de l’événement dramatique de Munster en Westphalie, les anabaptistes ont eux-aussi pris les armes pour hâter la venue du règne de Dieu. Les anabaptistes ont parfois oublié leurs racines théologiques et éthiques, pour les redécouvrir quelques décennies plus tard.
Les dilemmes que soulignent l’anabaptisme sont toujours actuels 500 ans plus tard : Quand l’Etat demande aux chrétiens de porter des armes, de participer à la guerre, voire même de tuer, doivent-ils obéir ? Comment « aimer son ennemi » tout en portant une arme pour l’abattre ? Un chrétien peut-il porter les armes alors que Jésus lui-même, est venu montrer et enseigner un autre chemin ?
La non-violence, une conviction naïve ?
Les chrétiens devraient-ils aller se cacher en laissant à d’autres le soin de régler les problèmes de ce monde ? La non-violence n’est pas l’absence de réaction, mais une réponse qui refuse d’entrer dans la spirale de violence et de produire l’anéantissement de l’autre. Elle suppose de renoncer à utiliser des armes léthales. Une personne agressive doit être désarmée comme l’on désarmerait un fils qui s’en prendrait à sa famille ; pas comme un ennemi à abattre.
Les chrétiens sont invités à renoncer à la violence, pour mieux s’investir pour la paix ! L’évangile de Matthieu déclare que les artisans de paix seront appelés « fils et filles de Dieu » (Matthieu 5.9). Cette prévention est l’œuvre du quotidien dans la prévention des conflits. Ce travail de paix se fait en temps de paix, comme en temps de tension. Il cherche à désamorcer un conflit et travaille à le faire désescalader pour éviter la dérive de la violence.
Hors du cercle anabaptiste-mennonite, deux femmes, Erica Chenoweth , politologue et professeure à l’université d’Harvard et Maria J. Stephan, chercheuse en sciences politiques se sont interrogées : peut-on résister au mal sans violence ? Ou selon leurs termes, est ce que la résistance civile fonctionne ? Elles ont mené une étude massive sur 323 cas de conflits – dont 105 sans armes et 218 armés. Elles observent que les révolutions non-violentes sont deux fois plus efficaces que les révolutions violentes. Les résistances civiles non-violentes s’appuient sur d’autres leviers que ceux de la violence. Comme lors d’un combat d’aïkido, elles cherchent à repérer les appuis d’un système injuste pour les fragiliser et les neutraliser. Elles visent à perturber le système de l’intérieur.
Le rôle des femmes dans la résistance non-violence
Les femmes jouent un rôle essentiel dans les mouvements de non-violence active. Là où les hommes s’intéressent davantage à la guerre, aux armes et aux stratégies géopolitiques, les femmes sont généralement plus proches de ce qui fait le quotidien des relations et de la famille. Les femmes sont souvent davantage conscientes des dangers inhérents aux soulèvements violents pour elles-mêmes et pour leurs proches. Elles connaissent la vulnérabilité et le coût de la vie. Elles connaissent le coût de la violence.
Les femmes sont des chevilles ouvrières de toute lutte non-violente. Elles bénéficient de plusieurs manières des nombreux avantages qu’offre cette forme de résistance. Comme le rappelle Chenoweth et Stephan, là où le combat demande un entrainement et un équipement, l’action non-violente sait s’inscrire dans le quotidien. Les formes ne sont limitées que par la créativité : la résistance peut prendre la forme d’une marche silencieuse, d’une grève du sexe, de désobéissance civile ou d’un boycott.
Assurer une paix durable
Celles et ceux qui y participent bénéficient d’une plus grande intégrité morale et les actions non-violentes mobilisent bien mieux la population que les actions violentes. Tout le monde peut y participer : les femmes, les enfants, les personnes malades et les personnes âgées. Le prix d’une action non-violente est moins élevé : les actions sont plus rapides et comportent moins de risques. Il est plus facile de reconstruire une famille et une nation après un soulèvement non-violente, qu’après le passage de la machine de guerre.
Avec Jésus pour maître et pour enseignant, les anabaptistes remettent les questions liées à la violence au goût du jour dans une variété de situations. L’interpellation de Jésus ouvre un chemin dans les enfermements mentaux. Les femmes ont un rôle essentiel à jouer dans l’interpellation comme dans la mise en œuvre. Le mal ne peut vaincre le mal. Il se cumule au contraire. Seul l’amour peut apporter un changement durable, c’est ce qu’enseignait Jésus et ce qu’il est venu incarner.
Texte:
Marie-Noëlle Yoder et Salomé Haldemann
Cet article a d’abord été publiée en allemand dans FAMA.